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Une étude sidérante vient d’être publiée dans The New England Journal of Medicine[1].

Elle est parue la veille de la décision de la Cour de Cassation autorisant la mort de Vincent Lambert – et elle fait froid dans le dos.

Car elle révèle que 15 % des patients ayant eu un accident grave et diagnostiqués comme « non conscients » ou « en état végétatif »… seraient en réalité conscients !

« C’est gigantesque, a déclaré le Dr Nicholas Schiff, grand professeur de neurologie et neurosciences à New York. La découverte qu’un patient sur sept pourrait être très conscient de ce qui est dit autour d’eux est un grand moment »[2].

Ces patients ont été considérés comme « non-conscients » parce qu’ils ne répondent pas à ce qu’on leur demande de faire : on a beau leur dire de serrer les doigts ou de cligner des yeux, par exemple, il ne se passe rien.

Mais l’imagerie cérébrale montre que c’est parce qu’ils en sont physiquement incapables, et non pas parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’on leur dit !

Cette étude est d’autant plus intéressante qu’elle a été réalisée sur des patients dont l’accident au cerveau était récent : elle montre que ceux à qui on diagnostique très tôt cette « conscience minimale » ont nettement plus de chances de s’en sortir que les autres !

Voilà pourquoi il faudrait d’urgence généraliser cet examen par électroencéphalogramme à tous les patients récemment « cérébro-lésés » !

« Notre étude pourrait changer la façon dont nous gérons les patients souffrant de lésions cérébrales aiguës », a déclaré l’auteur principal, Jan Claassen[3].

Selon ce médecin, il est important de répéter ces tests plusieurs fois par jour, car les patients dans cet état ont tendance à perdre connaissance – si vous ne faites le test qu’une seule fois, vous pouvez tomber sur un moment où le patient n’est pas conscient !

Au total, si on généralise ces tests approfondis, cela pourrait changer la vie de certains patients !

Prenez le cas de ce patient, classé « en état végétatif », dont l’histoire a été racontée par les journalistes du NewScientist.

Il faisait des mouvements de tête, mais l’équipe médicale pensait que c’était des mouvements « réflexes », sans conscience.

Mais ce patient a bénéficié de ces nouveaux tests, qui ont révélé qu’il avait une « conscience minimale » – et c’est alors que l’équipe médicale a commencé à le traiter différemment !

Ils ont même réussi à lui installer une « souris d’ordinateur sur la tête », grâce à laquelle il a fini par écrire un email au Dr Schiff[4] !

Et croyez-le ou non, son premier réflexe n’a pas été de demander à mourir… bien au contraire !

Voudriez-vous mourir si vous étiez prisonnier de votre propre corps ?

Nous avons tendance à imaginer que notre vie serait « un enfer » si nous devenions tétraplégique.

Nous avons tendance à croire que nous préférerions mourir plutôt que de « vivre emprisonné dans notre propre corps ».

C’est pourquoi certaines personnes sont convaincues que les parents de Vincent Lambert sont cruels : s’ils avaient de la compassion pour leur enfant, ils seraient désireux d’abréger son calvaire !

En réalité, dans le cas précis de Vincent Lambert, ce raisonnement est très contestable :

  • Soit Vincent Lambert n’est conscient de rien, comme le pensent la majorité des experts, et il ne peut pas souffrir – dans ce cas, pourquoi ne pas lui laisser une chance, même minime, de regagner conscience un jour (c’est rare, mais cela arrive), puisqu’il ne souffre pas ?
  • Soit Vincent Lambert a une conscience minimale, et on pourrait tout aussi bien considérer qu’il est cruel de le laisser mourir de cette manière (je rappelle que Vincent Lambert n’est « branché » à aucune machine et que la seule manière de le faire mourir est de cesser de l’alimenter), surtout s’il est conscient de ce qu’on s’apprête à lui faire.

Mais surtout, il faut savoir que nous sommes très mauvais pour imaginer ce que nous pourrions ressentir si nous étions gravement accidentés.

Une étude très intéressante a été réalisée auprès de patients « emprisonnés dans leur corps »[5].

Ces personnes sont totalement paralysées… mais elles sont parfaitement conscientes et peuvent communiquer en bougeant les yeux.

Pensez à l’auteur du best-seller Le scaphandre et le papillon, qui a réussi l’exploit d’écrire un livre simplement en clignant de l’œil gauche !

Eh bien croyez-le ou non, la majorité de ces patients ne sont pas malheureux !

Oui, dans l’étude en question, 72 % d’entre eux se sont même déclarés « heureux ».

« Cela peut paraître surprenant pour nous, de l’extérieur, mais certains patients font preuve d’une énorme capacité d’adaptation à leur nouvelle situation, explique Steven Laureys, responsable de l’étude. Beaucoup évaluent leur qualité de vie à un meilleur niveau que je n’aurais jugé la mienne ! ».

Notez aussi que ceux qui étaient les plus malheureux étaient aussi ceux dont l’accident était le plus récent.

Et en effet, il est très fréquent pour les accidentés lourdement handicapés de commencer par ressentir une dépression sévère… puis, progressivement, de s’adapter à leur nouvel état.

(Ce qui pourrait être une bonne raison de leur refuser l’euthanasie, tant que leur état n’est pas stabilisé, même s’ils le demandent avec insistance.)

Écoutez ce que dit le Professeur Adrian Owen, un des neuroscientifiques les plus connus au monde :

« Nous ne pouvons pas préjuger de ce que cela peut être que de vivre dans une de ces situations, car beaucoup de patients trouvent leur bonheur dans des choses que nous ne pouvons tout simplement pas imaginer. »[6]

C’est la raison pour laquelle je vous invite à bien réfléchir avant d’écrire vos directives anticipées.

Gardez bien à l’esprit que vous ne pouvez pas vraiment savoir comment vous réagirez si vous êtes victime d’un accident grave.

N’oubliez pas non plus que la science du cerveau est tout sauf infaillible : les médecins peuvent se tromper sur votre niveau de conscience… ou sur vos chances réelles de vous « réveiller ».

Au total, il y a tellement de situations envisageables qu’il est à mon avis impossible de toutes les imaginer dans des « directives anticipées ».

Le plus important, de mon point de vue, c’est de signaler les personnes à qui vous faites confiance pour décider de votre sort.

Ni français, ni belge, à qui faire confiance ?

Aujourd’hui en France, en l’absence de directive anticipée, c’est le médecin qui décide de votre sort.

Personnellement, je trouve cela très étonnant : pourquoi laisserait-on un médecin décider de la vie ou de la mort d’un patient ?

N’est-ce pas à sa famille de prendre une telle décision ?

A tout prendre, si c’est un étranger qui doit décider de mon sort, je préférerais encore que ce soit un juge, car au moins a-t-il l’obligation (et l’habitude) d’entendre les arguments des deux côtés, et de les écouter avec le maximum d’impartialité !

Laisser le médecin décider peut conduire à des aberrations, comme ce qui s’est passé en 2013 avec Vincent Lambert : quoi qu’on pense sur le fond de la décision de son médecin de l’époque, il semble aberrant de prendre une décision aussi grave (le laisser mourir) dans le dos des parents de Vincent, sans les en informer (ils l’ont appris par hasard !)

Mais dans l’idéal, il me semble que ce sont les membres de notre famille qui sont les mieux placés pour décider de notre sort.

C’est ce que choisit le droit belge, qui ne donne aucun droit de décision au médecin, et tous les droits à la famille.

Mais le problème, c’est que le droit belge établit une hiérarchie : d’abord l’épouse, puis les enfants, puis les parents.

Donc si l’épouse n’est pas d’accord avec les enfants ou les parents de son mari, c’est sa décision à elle qui prévaut.

Pourquoi ? L’idée est que le patient a choisi son époux ou épouse, alors qu’il n’a pas choisi ses parents – et donc que c’est le conjoint qui aurait le plus le « droit » de décider de son sort.

Mais ce raisonnement me paraît bancal, car quantités de mariages se terminent par des divorces à la suite desquels les ex-époux deviennent des étrangers l’un pour l’autre – alors que nous serons toujours les enfants de nos parents !

Par défaut, il me semble que l’unanimité devrait être requise pour les décisions graves. Il me paraît dérangeant de décider de la mort de quelqu’un si l’un des membres de la famille s’y oppose.

(Pensez aux 12 jurés, aux États-Unis, qui sont obligés par la loi de se mettre d’accord unanimement pour condamner quelqu’un à de la prison).

Évidemment, il y a des exceptions : si par malheur vous avez été abusé par l’un de vos parents, il est normal de refuser que ce parent puisse avoir son mot à dire !

Et c’est ici que les fameuses directives anticipées me paraissent utiles.

Non pas pour décider à l’avance de ce que vous voudriez… mais pour bien choisir le ou les personnes de confiance qui prendront la décision !

Personnellement, si je devais me retrouver dans la même situation que Vincent Lambert, je voudrais qu’il y ait un consensus entre mon épouse et mes parents sur mon sort (je ne suis pas sûr de vouloir mêler mes enfants à une décision aussi difficile).

Cela me paraît la meilleure garantie que la décision sera bonne – ou du moins la moins mauvaise possible !

Et vous, qu’en pensez-vous ? N’hésitez pas à partager vos réflexions en commentaire de cette lettre, ici.

PS : Le Figaro a relaté récemment l’histoire d’une patiente, Amélie de Linage, dont le cas est particulièrement troublant[7] :

En août 2014, Amélie de Linage fait « une fausse route alimentaire ayant provoqué un arrêt cardio-respiratoire, Amélie est plongée dans un coma artificiel. On tente un réveil quelques jours plus tard, mais l’électroencéphalogramme, qui s’affole, témoigne d’un état de mal épileptique réfractaire à tout traitement ». A sa famille ébranlée, le médecin chef du service réanimation déclare que « son projet de vie, c’est de mourir ». Son mari s’insurge : « Vous n’avez pas à choisir pour elle ! (…) Moi non plus d’ailleurs. Laissez-lui juste une toute petite chance de vivre, quel que soit son état ». Un jour, il constate que l’alimentation est coupée et l’hydratation réduite au minimum, il s’emporte, rien n’y fait. Le 5 septembre, on retire à son épouse le respirateur artificiel, « contre toute attente, Amélie récupère cette fonction parfaitement », mais les médecins refusent de remettre en route l’alimentation et l’hydratation. Après quinze jours sans alimentation, Amélie a fondu mais elle « est toujours là » : « Je sentais sa présence », raconte son mari. Mi-octobre, des « reprises de conscience » sont perçues, ainsi que quelques balbutiements. Amélie finit par articuler : « J’ai faim, j’ai soif ! ». Très handicapée, elle rentre chez elle en décembre 2015 : « Comme Vincent Lambert, j’ai été classée à tort en fin de vie et condamnée à la dénutrition. Aujourd’hui, je suis là pour dénoncer cette injustice, et dire que j’aime la vie ».

236 commentaires

  • Groleau Jacques dit :

    Pour avoir été, enfant (j’ai aujourd’hui 65 ans…), déclaré mort, et avoir vécu 3 mois de “coma dépassé” et subi beaucoup d’horreurs (expériences “médicales” dont certaines ont été utiles, d’autres plutôt “perverses”) je confirme avoir entendu et retenu beaucoup de choses (pas tout, sans doute) autour de mon lit de souffrances. Et pour avoir terriblement manqué d’hydratation, je confirme également que c’est une torture affreuse (d’ailleurs utilisée par les nazis comme par les communistes – cf. Maximilien Kolbe et bien d’autres).
    Et bien sûr, j’indique avoir rédigé, en pleine conscience, il y a 2 ans, de solides et précises “directives anticipées” : j’espère qu’elles interdiront aux médecins de “faire n’importe quoi”. Pas sûr, hélas.

  • formento dit :

    ce que je viens de lire est pour moi hallucinant !! j’ai moi même dit , écrit, que je ne voulais pas d’acharnement thérapeutique en cas de maladie ou d’handicap grave . il est vrai que cette lecture me pose un problème de grande réflexion

  • couvreur dit :

    Lire “Une larme m’a sauvée” d’Angèle Lieby (Ed. des arènes, 2012)… c’est l’exemple parfait de votre article, être prisonnier de son corps. Le médecin, à tort, l’a condamnée à mort … son mari et sa fille ne s’y résigne pas … et elle sortira petit à petit de sa prison corporelle.

  • Chm dit :

    Il est incroyable de voir le nombre de “complices” disant savoir mieux que tous qu’une personne dans l’état de Vincent Lambert souffrait forcément ! (y a til tant de personne a se ralié à la cause hitlérienne sur le sort réservé aux handicapés dans ce monde ?) donc, un handicapé ne peut jamais vivre sans souffrance et sera malheureux ! C’est génocidaire et monstrueux. Avoir exécuté un handicapé sur de faux prétextes est un crime inhumain, peut être même un crime contre l’humanité car des milliers de personnes comme lui sont à présent la cible de bourreaux (exécuteur de la mise à mort sur décision de justice)

  • Turin dit :

    Mr Bazin oublie un tout petit détail, c’est que celui qui émet des “directives anticipées” assume ce qu’il souhaite. Personnellement je ne donne le droit à personne de décider à ma place ce que je souhaiterais quand je ne pourrai plus l’exprimer. Je me fiche de mourrir en bonne santé ou grabataire si je l’ai décidé ainsi. Les élucubrations de Mr Bazin découlent de l’évolution sociétale qui veut que les autres savent mieux qu’eux-mêmes ce qui est bien pour eux, c’est simplement scandaleux !. Et puis n’y a-t-il pas comme un petit relent de religieux là-dedans qui préjuge d’une existence de l’au-delà ?

  • Chantal dit :

    Consciente mais prisonnière de mon corps NON NON NON NON ET NON !!!! être une charge pour la société NON !!!! c’est inhumain , Égoïste de relier une personne à des machines pour la maintenir coûte que coûte en vie dans cet état . Respecter la vie c’est AUSSI LAISSER FAIRE LA NATURE !!!!!!!!

  • Lab. dit :

    Les “bourreaux” ont gagnés ! quelle abnégation de leur part ! Vincent Lambert dérangeait ! depuis trop longtemps ! Honte à ces gens la. Il reste la prière, penser à l’au delà. Croyant ou pas. Je suis totalement opposé à l’euthanasie qui si elle est “légiférée” entrainera des abus et des injustices. Société bizarre, ne trouvez vous pas ? société qui tue des innocents (Vincent Lambert, les enfants à naître) et qui supprime la peine de mort pour les assassins. Car oui la peine de mort pour un tueur (en série ou pas) peut être sanctifiante. Les hommes sont devenus fous ! jusqu’où iront nous ?…..

    • Elisabeth dit :

      Pour parler ainsi je peux certifier que vous n’avez jamais vécu une situation de ce type. Mon mari s’est retrouvé dans le coma, plus aucun de ses organes internes ne fonctionnaient sauf le cœur : les médecins n’ont (officiellement) pas le droit de l’aider à mourir : vous trouvez cela normal!! Après plusieurs longues heures à attendre le décès de la personne qu’On aime, les médecins sont intervenus mais légalement ils n’en avaient pas le droit.
      C’est inhumain de laisser des personnes souffrir ainsi sans pouvoir les aider à mourir dans la dignité. En France on ne peut que les laisser mourir de faim : je le répète c’est inhumain.

  • Emmanuelle dit :

    Bonjour,

    Il ne m’appartient de juger le choix de parents dans la détresse, même si je ne le partage pas.

    Mais, les propos de M. Xavier Bazin me choque et je ne souhaite plus lire ses lettres.
    Je n’ai pas écrit la première fois suite à sa lettre, mais là, je vais le faire, même s’il répond par une autre lettre en ne diffusant que des témoignages (sauf un !!!) qui abonderont en son sens.

    M. Bazin parle de “non acharnement”, parce que Vincent Lambert est seulement alimenté et hydraté. 11 ans… ce n’est pas de l’acharnement ? Qu’est qu’il lui faut ???!!! A-t-il seulement pensé un instant à la souffrance de cet homme ? M. Bazin répond à la souffrance en vous opposant de grandes théories scientifiques, médicales (les études, les thèses) ; il oublie le principal : l’HUMAIN.

    Il parle de donner au moins une “petite chance” au patient. Combien d’années encore veut-il faire souffrir Vincent Lambert sur son lit d’hôpital ? Vincent, et sa famille aussi, son épouse, ses frères et sœurs… ses parents également, quelles que soient la position de chacun sur cette triste affaire. Tous sont dans la souffrance.
    Une petite chance, après 11 ans, c’est encore combien d’années M. Bazin ?

    Et qu’il ne me parle pas du serment d’Hippocrate, il date du 4e siècle (!)… pensez, à cette époque, M. Bazin, les moyens n’étaient pas les mêmes…
    Oui, les médecins sont là pour nous soigner, pour apaiser nos souffrances… pas pour s’acharner. Si j’étais demain Vincent Lambert, j’aimerais ce médecin, cet humain, qui m’aide, me soigne, sans s’agripper coûte que coûte à la vie.

    M. Bazin, vous sembliez vouloir nous faire partager – au travers de vos lettres – des techniques de soins plus près de la nature, plus douces… je trouve que nous sommes là très loin de cette approche.

    Mais, surtout, M. Bazin, le profond malaise qui est là, c’est le refus de la mort, malheureusement très ancré dans notre civilisation occidentale. Accepter la vie, c’est aussi accepter la mort. Soigner bien sûr, quand c’est possible, mais s’accrocher ainsi… 11 ans M. Bazin, 11 ans de souffrance, alors qu’on aurait pu lui accorder une mort plus paisible. Mais vous semblez penser que ce n’est pas suffisant…

    Je souhaite à Vincent Lambert et à toute sa famille de trouver enfin la paix ; à sa famille de trouver la voie de la réconciliation autour du souvenir de Vincent… le plus beau cadeau qu’il pourrait lui offrir.

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